Consommation énergétique boîte mail

Ou le fact checking appliqué à l’écologie.

Depuis le début du siècle, la question du réchauffement climatique a cessé de faire débat dans la communauté scientifique. Et s’il est un phénomène de société que les générations futures retiendront des années 2010, c’est certainement la prise de conscience écologique des terriens d’alors.

Face à l’évidente responsabilité de l’humanité dans la modification de son environnement, la réponse des gens de bonnes volonté ne s’est pas faite attendre. Ainsi, limiter nos émissions de gaz à effet de serre, CO2 en tête, devient un objectif prioritaire.

Pour atteindre la neutralité carbone, deux variables sont à notre disposition : l’augmentation de notre capacité de capture desdits gaz et la réduction de leurs émissions. Désormais, chacun est invité à apporter sa pière à l’édifice et les initiatives cherchant à limiter les conséquences d’un changement annoncé sont nombreuses.

L’humain est un animal social et ralier ses semblables à sa cause est une condition sine qua non de la réussite de ses entreprises. L’écologie devenant un enjeu crucial pour beaucoup, la vulgarisation écologique ne s’est pas faite attendre et elle est désormais omniprésente sur les réseaux sociaux.

Attirant l’attention sur telle catastrophe ou telle autre solution ingénieuse, elle permet à chacun de mesurer son impact individuel et adapter son comportement en fonction. Ainsi, le poids carbone rejeté devient progressivement le mètre étalon de la bonne conduite écologiste.

Il reste cependant difficile pour le quidam de comprendre l’impact des 2,5kg de CO2 rejeté par la combustion d’un litre d’essence, tant la masse de l’atmosphère terrestre est colossale en comparaison (5x10^18kg). De la même façon, nos cerveaux peinent à se représenter l’énergie produite par cette même combustion. Bien que le joule soit une unité précieuse pour quantifier le travail fournit par un système, l’internaute préfère des comparaisons qu’il juge plus préhensibles.

Ainsi, à force d’études et autres infographies, nous partageons nos combats quotidiens. Mais si l’urgence climatique demande toute notre attention, a-t-elle le loisir d’être à son tour polluée par des moulins à vent ?

L’épineuse question de la véracité des données

Au fil de mes navigations, je suis récemment tombé sur l’infographie suivante.

Son message est clair : les emails ont un impact écologique fort, et il est du devoir de tout bon éco-citoyen de les utiliser avec parcimonie. Pire encore, leur stockage est un gouffre énergétique et nous devons faire l’impérative économie de leur sauvegarde.

Et si le catalogue du gaspillage présenté fait frémir et va crescendo, la première affirmation a immédiatement heurtée ma conscience. Envoyer un email serait équivalent à une heure de lumière électrique ?

Essayons d’y voir plus clair.

Ayant eu l’immense privilège de recevoir l’éducation dispensée par la République indivisible, laïque, démocratique et sociale française, des souvenirs adolescents me reviennent tout à coup. De nouveau sur les bancs du collège, je revois mon enseignante d’alors expliquer la puissance électrique à un parterre de petits français tous attentifs.

A la manière du débit d’un cours d’eau, la puissance correspond au débit d’électricité que reçoit un dipôle. Une ampoule incandescente de 60 watts aura ainsi besoin de recevoir 60 joules par secondes pour fournir de la lumière. Cette technologie aujourd’hui obsolète, avait cependant le fâcheux défaut de produire plus de chaleur que de lumière. C’est pourquoi elle a été remplacée par des produits plus efficaces. En 2020, une ampoule standard à LED de 7 watts produit l’équivalent d’une ampoule de 60W d’autrefois. Watt et joule se confondant quand on mesure une quantité d’énergie sur le temps, en une heure, notre ampoule reçoit (ou consomme) 7*3600 = 25 200 J pour briller.

Notre e-mail et son coût théorique

Méthodologie

Les technologies actuelles nous permettraient déjà de connaitre précisément le coût énergétique de chaque email envoyé. Cependant, la littérature scientifique semble manquer de publications y faisant référence. Ainsi, nous nous essayerons à une approximation la plus fidèle possible. Celle-ci n’étant que le fruit de mes propres recherches, je t’invite, lecteur, à me partager les articles qui m’auraient échappés.

Le coût énergétique de la rédaction de l’email n’étant pas mentionnée dans l’infographie, nous l’écarterons de notre calcul. Nous cherchons ainsi à connaître la consommation électrique des différentes opérations qui conduisent de l’envoi d’un email, à sa réception par le lecteur.

Le marché de la technologie est en perpétuelle évolution, et le coût énergétique d’un email décroit à mesure que les ordinateurs pourvoyant à son acheminement gagnent en efficacité. Parce qu’il est nécessaire d’avoir une représentation la plus fidèle de la réalité, les fiches techniques des produits Dell nous servirons de références quant à la puissance consommée par les appareils utilisés.

De ma boîte à la tienne

Qu’advient-il de nos mails après avoir cliqué sur “envoyer” ?

Si on considère un échange entre un utilisateur français de Gmail écrivant à sa grand-mère qui est chez Orange, le voyage d’un e-mail est intimement lié au protocole utilisé, IMAP dans notre exemple.

Une requête part alors de la machine de l’expéditeur et se dirige droit vers son serveur mail. Pour accéder au serveur IMAP de GMail depuis Paris, une requête va se propager à travers Internet en “rebondissant” sur différents noeuds jusqu’à atteindre sa destination en Californie. Chacun de ses noeuds est orchestré par un routeur dont le rôle est de rediriger la requête vers son prochain destinataire.

Une fois cette première requête reçue par le serveur de messagerie, celui-ci va la lire et exécuter les actions suivantes :

  • Envoyer le message vers le serveur de messagerie du destinataire
  • Enregistrer le mail envoyé pour l’archivage de l’expéditeur

Une nouvelle requête est alors envoyée depuis le serveur de GMail vers celui d’Orange à Paris. Par simplicité, on admettra qu’elle prend la même route que la première requête. Une fois arrivé sur le serveur d’Orange, celui-ci exécutera alors à son tour une série d’actions visant à enregistrer le mail pour une lecture ultérieure.

Toutes ses opérations sont énergivores et, nous l’avons vu, leurs consommations electriques dépendent de plusieurs facteurs :

  • Le temps de traitement de l’information par le serveur
  • La charge de travail allouée au traitement de l’information
  • La consommation électrique des systèmes traitant l’information

Le coût du transport

Pour traverser l’atlantique et rejoindre les serveurs de Google, un mail de 2Mo, mettra 5 secondes pour atteindre la Californie. On néglige le temps de propagation de l’information et on considère que tout son temps dans le système occupe un ordinateur.

Par simplicité, on considère que nos requêtes sont traitées par le serveur le plus gourmand de Dell, dont l’alimentation délivre 3000W et que le serveur sollicite 100% de la capacité de l’alimentation en continue. La climatisation de cet ordinateur consomme elle aussi l’équivalent de 3000W pour dissiper la chaleur produite. Enfin, il est rare qu’un tel ordinateur soit seul dans un data center, mutualisant ainsi le coût énergétique du bâtiment abritant les machines. De façon arbitraire, nous considèrerons que 500W sont également consommés pour le simple fait que le serveur soit allumé dans un data center. On considère alors l’infrastructure nécessaire à la transmission de la requête comme une seul et même unité consommant 3000+3000+500 = 6500W.

Or il serait injuste d’imputer toute la consommation du système à notre simple requête. Les machines utilisées pour acheminer ces messages sont optimisées pour le travail en parallèle, si bien qu’un même ordinateur peut traiter plusieurs milliers de requêtes simultanées. Dans le même souci de simplicité, nous considèrerons qu’une unité du système peut gérer 10 000 requêtes concurrentes, ce qui est certainement très en dessous de la réalité.

Ainsi, le coût du transport de la requête sera de 6500 watts consommés, divisé par une capacité de 10 000 requêtes à la seconde, multipliés par les cinq secondes du temps de traitement. Soit un total de 3,25 joules consommés pour qu’un mail parcourt les 9000 kilomètres qui séparent Paris de Mountain View.

Cette requête faisant un aller retour, 6,5 joules sont imputables au transport de l’information.

Le coût du traitement

Nous en avons tous fait l’expérience, un email met généralement une trentaine de seconde à arriver chez notre destinataire. Si, comme nous l’avons vu plus haut, 10 secondes sont consacrées à la circulation de l’information autour de la Terre, les 20 secondes restantes peuvent être considérées comme allouées exclusivement au traitement des opérations par les serveurs mails de l’expéditeur et du destinataire.

Si nos serveurs mails sont aussi des machines consommant 6500W, et qu’ils sont quant à eux capables de traiter 1000 mails par seconde, alors la consommation électrique d’un email sera 6500/1000*20 = 130 joules.

Consommation totale

En additionnant le coût énergétique du transport et celui du traitement de l’information, envoyer un email nécessite donc 136,5 joules, soit 5 pour 1000 de la consommation d’une heure d’ampoule LED, ou 20 secondes de lumière.

Les estimations prises pour le calcul sont volontairement pessimistes. Si tu t’en sens l’envie, lecteur, je serais ravi que tu me partages ton expertise en commentaire. Le modèle n’en sera alors que plus précis.

Pourquoi un tel écart ?

Si deux calculs tentant d’approcher la même réalité donnent des résultats divergents, il n’existe qu’une explication : l’un des deux au moins est faux.

Il est regrettable que l’infographie ne présente pas de source pour étayer ses affirmations. Peut-être faut-il aller la chercher dans le livre de Mike Berners-Lee, How Bad are Bananas?: The Carbon Footprint of Everything. L’auteur y estime en 2011 l’emprunte carbone d’un courrier électronique à 0,3 grammes.

En 2010, date probable des chiffres sur lesquels s’appuie Berners-Lee, les USA produisaient 4 125 gigawattheures. La même année, l’industrie américaine de l’énergie dans son ensemble rejetait 2 389 mégatonnes de CO2 dans l’atmosphère. Ainsi, un kilowattheure américain d’alors pesait 580 grammes de CO2. Si un kilowattheure représente 3,6 millions de joules répartis sur une période d’une heure, 1 gramme de CO2 rejeté sur la même période aura permis la production de 6207 joules. Dans son approche, Berners-Lee laisse donc penser qu’un email de 2010 nécessite 1862 joules pour atteindre son destinataire. Notre différence étant d’un facteur 13 la méthode de l’auteur mérite d’être approfondie et le sera dans un prochain billet.

A titre de comparaison, l’emprunte carbone d’un kilowattheure français produit est de 19g en Décembre 2019. Ainsi, une telle affirmation sous nos latitudes laisserait penser que nos mails sont des gouffres énergétiques, établissant leur consommation à 57 kilojoules, soit plus de deux heures de lumière LED.

Limites du modèle

La méthodologie présentée ici, bien loin d’être exhaustive, semble cependant prendre en compte les principales consommations énergétiques qu’engendre la messagerie électronique. Le rendement exact de l’infrastructure serait une excellente piste d’amélioration et les commentaires de cet article sont le meilleur moyen d‘aider à affiner cette approche. Une mise à jour sera proposée chaque fois qu’un fait marquant sera apporté au débat.

J’espère sincèrement que tu as, lecteur, pris autant de plaisir à la lecture de cet essai que j’en ai éprouvé à sa rédaction. Chaque affirmation, vraie ou fausse est une porte ouverte vers sa vérification et le débat qui en découle. Je t’invite à te forger ta propre opinion sur le sujet que j’ai ici eu l’honneur de t’introduire.

Si d’autres sujets suscitent ta curiosité, fais m’en part dans les commentaires. Je serais ravi de pouvoir faire de nouvelles découvertes. Profite en pour me suivre sur Medium et me laisser un clap. Et d’ici là, n’oublie jamais de tout remettre en question et de prendre soin de toi.

Quel est le coût énergétique d'un mail ?

🖐 Un mail avec une pièce jointe de 1 Mo équivaut à 19 gCO2e (d'après l'ADEME).

Pourquoi les mails consomment de l énergie ?

Cela est dû aux serveurs des data centers qui requièrent des métaux et des ressources importants pour être fabriqués et entretenus. Enfin, il faut également parler des spams, ces mails intempestifs que l'on reçoit par centaines.

Comment Peut

Penser régulièrement à supprimer les courriels dont vous n'avez plus besoin. S'ils contiennent des pièces-jointes importantes, télécharger-les sur votre ordinateur puis effacer-les de votre boite mail.

Pourquoi il faut supprimer ses mails ?

Nettoyer sa boîte mail régulièrement est donc une manière accessible à tous qui permet d'aider dans une certaine mesure à réduire la pollution numérique, et c'est bon pour la planète. En effet, un français reçoit en moyenne 39 mails par jour. Un mail avec une pièce jointe peut émettre 19g de CO2.